L'INSTITUTION EST-ELLE TOUJOURS AU SERVICE DE SA MISSION ?
Réflexions et inquiétudes d'un ancien Directeur d'établissements
Fort de 24 ans de pratique de directeur auprès de personnes porteuses de polyhandicap, je pense aujourd’hui, pouvoir affirmer, que s’occuper de celles ci exige de tous les professionnels des dispositions particulières au delà des diplômes exigés, et que l’ensemble de ce qui constitue une institution destinée à les accueillir, impose des dispositifs spécifiques.
En effet à leur contact, il n’est pas possible d’échapper à l’expression de leur vécu. La difficulté « à être » des personnes polyhandicapées, peut se résumer succinctement au fait qu’elles sont confrontées à :
la grande dépendance,
des difficultés majeures à vivre les séparations,
une grande capacité à éprouver sans grand moyen d’élaborer ,
l’angoisse de mort,
l’absence totale ou partielle de communication,
un corps privé de mouvement…..
De ce fait, il est clair que j’ai quelques appréhensions dans les choix qui sont fait aujourd’hui par quelques associations, formateurs ou professeurs de ne pas tenir compte de ces spécificités.
L’institution accueillante, se doit pourtant d’être bienveillante dans son ensemble vis avis d’elles. C'est-à-dire de considérer sa mission d’accompagnement à partir de leurs besoins. Que ces derniers soient repérés par les regards croisés des professionnels. Qu’ils soient analysés, afin qu’une réponse institutionnelle soit élaborée, validée par les dirigeants dans l’unique but d’une prise en compte adaptée aux dits besoins des personnes.
Hélas, aujourd’hui, le risque semble bien réel, qu'on ne parte plus du besoin des personnes mais d’un besoin de réaliser des économies dans les établissements d'accueil existants ou à créer. Il est d’ailleurs important de remarquer combien la demande de compétence des cadres a évoluée dans ce sens.
C’est ainsi , que pour être à la tête (symboliquement le siège de la pensée), le « manager » (étymologiquement le guide) d’un établissement se doit avant tout d’être
expert de la finance, de la législation et des réglementations .
Le législateur a fait le choix - accepté par les associations gestionnaires et les centres de formations - qu’il ne soit plus nécessaire d’avoir une formation et une pratique minimale dans le secteur médico-social. A mon sens, le directeur, garant de la mission de l’établissement devrait avant tout avoir des compétences sur le fonctionnement des êtres humains qui constituent l’Institution dans son ensemble. En mettant cet aspect majeur de coté ou en le relayant au second plan, le risque est grand qu’il s’en détourne et délaisse l’aspect premier de sa fonction.
Aujourd’hui, Je crains sérieusement que les aspects économiques et financiers prennent le pas sur l'humanité nécessaire pour faire face aux besoins des personnes concernées par l’institution :
-les personnes polyhandicapés elles mêmes,duites à la somme de leurs handicaps, pourraient être confiées aux seules mains d’experts médicaux, de l’hygiène dans des taches quantifiées, au risque que soient oubliés leurs besoins environnementaux et leurs réalités relationnelles.
- les parents et la famille pour qui, il serait indispensable de disposer de moyens afin que leur soit donné « une juste place », plutôt que leur soit laissé « juste une place » au CVS . Qu’ils puissent aussi, être soutenus par des professionnels formés et disposant de temps pour prendre en compte leur désarroi, leur souffrance, sans bien sûr les réduire à celle-ci , ou pire la nier.
-Et les professionnels
On déshumanise la relation. Le « bon sens », la créativité ne sont plus de rigueur, la rencontre doit être faite de plus en plus en fonction de ce qui est consigné dans des registres, avec le plus souvent une vocation d’’efficacité mesurable. J’ai vu cette notion poussée à son apogée quand une séance d’éducation motrice a pour but de faire perdre du poids. Alors le protocole veut que la personne polyhandicapée soit pesée avant et après la séance ! …..exigence d’une direction et non celle du professionnel. Celui-ci est alors « déboussolé » par cette mesure, il se sent dépossédé. Son métier choisi et aimé, basé sur le plaisir du corps en mouvement, est détourné au profit d’une direction avide d’efficacité, de rentabilité évaluable pouvant être présentée dans un tableau excel et qui conférerait à celle-ci une image d’établissement performant.
On déshumanise la relation, on déshumanise le soin. On déshumanise et déresponsabilise les professionnels en les plaçant dans un rôle de plus en plus d’exécutants.
Aujourd’hui je crains qu’on déshumanise les institutions : Sur les murs on placarde volontiers maints protocoles et réglementations en tous genres, textes officiels, réglementaires et légaux, comme si la pensée, la perception par les professionnels de terrain des besoins des personnes, ne devenaient plus légales.
Il n'y a plus guère de prise en compte de la rencontre faite à partir des ressentis de l’un et de l'autre. Ceux-ci même qui différencient l’être humain de la machine. Les rencontres de ces 2 sujets, l'un rempli de sa connaissance et de son « savoir faire professionnel » mais marqué de sa personnalité et l’autre fragile et vulnérable dans sa vie qui ne cesse de « hoqueter », alternance de plaisir et déplaisir soumis à la grande dépendance.
On risque de déposséder Les professionnels de leur éthique en pensant pour eux, en exigeant d’eux qu’ils deviennent des exécutants sans âmes. On risque de vider les institutions d’une valeur comme la confiance alors qu’elles sont le berceau d’un lieu ou l’on confie toujours l’Enfant de… ! (pour chaque parents :« son enfant ! » ).
Va-t-on encore s’appuyer sur ce qui m’est apparu comme le plus sacré durant mon expérience pour répondre aux besoins de l’autre : « la clinique ». ? C'est-à-dire l’écoute, l’observation, le respect dans un lien de bienveillance, d’humanité, afin de cerner au mieux les besoins et d’élaborer un accompagnement adéquat pour que les personnes polyhandicapées aient une chance d’atteindre dans la dignité une autonomie, ne fusse-t- elle que psychique si elle ne peut être physique.
De la part des gestionnaires, des associations, des encadrants, tout cela ne peut passer, que par le souci sans faille de respect et de reconnaissance des personnes accueillies et de tous les professionnels, de leurs savoirs faire et de leurs capacités à savoir être. Cela les invite et les convoque à se positionner avant tout comme garants d’une éthique avant d’être défenseurs et pourvoyeurs de règlements ou d’actions au service d’un appareil ou d’une idéologie.
On déshumanise l'acte et la relation en oubliant ceux qui le pratiquent et ceux qui en sont l’objet et qui souvent le subissent : "Combien de temps pour une toilette, Pour un pansement ? » On oublie et on nie que sous le pansement, sous la main qui lave, il y a quelqu'un ! Quelques-uns bien différents, avec des âges bien différents, homme ou femme, leste ou bloqué dans leurs corps, souffrant ou résistant à la douleur, appréciant le contact d'un autre sur sa peau dans l'intimité ou angoissé à l'approche même d'un possible contact ?
En déshumanisant on ne considère plus l'autre comme un sujet comptant pour « Un » au sein de l'humanité comme l'évoque Nicole Lompré.
On ne place plus le professionnel dans un rapport à l'autre mais dans un rapport à la performance !
Et pourquoi ? ….. Je laisse à chacun la capacité et le courage d’élaborer sa réponse.
Mais je crains, pour ces institutions de demain, si personne n’interroge le sens des pratiques actuelles qu’elles soient exposées à un risque majeur de fausse route, sans protocole, avec un réel risque d'étouffement et qu’un risque vital soit engagé?
Sommes-nous donc bien sûr qu’aujourd’hui les institutions et l’ensemble de leurs acteurs soient au service de leurs missions ?
Pour ma part le doute est installé.
Christophe Chaléat.
Ancien Directeur d'établissements pour enfants et adultes
Formateur spécialisé dans le polyhandicap
Superviseur d'équipes dans le social et le médico-social