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De la désinstutionnalisation en marche….

Voila des années que nous attirons votre attention sur le péril mortel qu'est la désinstitutionnalisation pour le polyhandicap. Celle-ci rampait, se dissimulait puis réapparaissait.
Aujourd'hui elle est, en pleine lumière, le leitmotiv des responsables nationaux.
Nous le répèterons aussi souvent que nécessaire : la désinstitutionnalisation, dont nous ne sommes pas compétents pour juger  de son intérêt pour le handicap en général, est une mesure insensée c'est à dire dénuée de sens lorsqu'il s'agit de handicap très lourd et tout particulièrement de polyhandicap.
Le Collectif d'une Maison à l'autre" vient de publier sous la signature d'Amarantha bourgeois un excellent article avec lequel nous sommes en totale solidarité :

COLLECTIF D'UNE MAISON À L'AUTRE      MERCREDI 24 JANVIER 2018

"En marche Inclusion" est un groupe informel crée par un collectif de personnes en situation de handicap, renforcé par quelques élus locaux.
Tous se réclament du mouvement En Marche, alors que leur collectif n'est qu'une association de droit , sans légitimité ni reconnaissance officielle du mouvement En Marche.
Ils prônent activement sur les réseaux sociaux la désinstitutionnalisation et militent pour la fermeture de tous les établissements médico-sociaux.
Au moment de l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République, En Marche Inclusion s'est fait connaitre par une opération de « com foireuse », pour reprendre les propos du journal Libération.
En proposant via leur compte Twitter de changer le logo marquant les emplacements réservés aux personnes handicapées, qu'ils qualifiaient de "'larmoyant", par un nouveau logo représentant un fauteuil profilé qui semblait avancer tout seul.
Résultat : un tollé sur le net, heurtant de fait de nombreuses personnes en situation de handicap qui n'ont malheureusement pas accès à autant d’autonomie. Et pour citer Libération à l’époque : “Une bonne idée n’arrivant jamais seule, le compte Twitter « En Marche Inclusion » a bloqué les comptes qui critiquaient leur démarche, avant d'effacer leur publication.
On comprend mieux dès lors, que tout tweet allant à l’encontre de leurs positions dogmatiques sur la désinstitutionnalisation entraîne de facto le blocage de son auteur-trice. J'en ai ,bien sûr, fait les frais.
Lorsqu'ils twettent (parce qu'ils existent essentiellement sur Twitter) c’est soit pour promouvoir la désinstitutionnalisation, soit pour dénoncer les propos de la secrétaire d'état chargée du handicap, madame Sophie Cluzel, qu'ils accusent de faire le jeu des établissements médico-sociaux qu'ils dénoncent comme étant, je cite: « des murs contre l’inclusion ».
Ainsi, ils se présentent comme les leaders de ce mouvement de désinstitutionnalisation, reprochant au gouvernement un manque d'audace et d'innovation tout en profitant d’une « labellisation » qui n’est pas officiellement reconnue par le mouvement En Marche.
Ce ne serait pas si grave, si les députés qu’ils cherchent à recruter pour arriver à leurs fins n’étaient pas si dupes.
Dès lors, réfuter la désinstitionnalisation reviendrait à refuser l'idée de l'école pour tous et se résumerait à cautionner cette discrimination que tant d'enfants subissent depuis des années.
En réalité, nos visions sont diamétralement opposées. J'aurais plutôt tendance à reprocher à Sophie Cluzel de s'inscrire dans la lignée d'un mouvement qui perdure depuis plus de 30 ans et qui vise justement la fermeture progressive et organisée des établissements médico-sociaux sous couvert de l'état de droit.
Comprenez-moi bien et ne déformez pas mes propos : la grande majorité des enfants en situation de handicap a sa place à l'école de la République et peut s'y épanouir et progresser avec le soutien et l'accompagnement nécessaire et spécifique à chaque individu. Ce gouvernement, comme le précédent s'y attelle même s'il reste encore beaucoup de chemin à faire, tant pour recruter des accompagnateurs que pour former ceux-ci à un métier pérenne.
Mais ce gouvernement, comme le précédent, comme encore le précédent, s’attelle aussi parallèlement à démanteler l'éducation spécialisée dans les établissements médico-sociaux.
C'est loin d'être un phénomène nouveau qu'on pourrait imputer aux uns ou aux autres, c'est bel et bien une vision inscrite dans une lignée de projets et de plans successifs de casse du secteur médico-social, qu'ils ne voient plus que sous le prisme financier et les coûts mal maîtrisés de celui-ci.
A ce sujet, je ne saurais trop vous recommander de lire le sociologue, Michel Chauvière qui analyse ces évolutions dans ses ouvrages : Debout pour nos métiers du travail social (ERES 2017) ou encore Trop de gestion tue le social (La Découverte, 2010).
L’imposition des contrats dits CPOM (Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens) puis maintenant le plan Sérafin-PH qui réinterroge toutes les autorisations de fonctionnement des structures, et dont la justification officielle se résume au fait que le médico-social serait un « mille-feuille improbable et indéchiffrable (!) » laissent apparaître l’objectif final à ceux qui suivent ces évolutions:
La mise en œuvre de tarification à l’acte (qui n’est pas sans rappeler la situation des hôpitaux publiques) constitue un pas vers l’individualisation des accompagnements à domicile avec des plateformes de services.
En d’autres termes, l’idée est de vider progressivement les établissements en attendant de pouvoir les fermer…
Et si ces transformations s’exécutaient sur un temps relativement long (et fourbe) jusqu’à présent, elles revêtent aujourd’hui une certaine transparence et prennent une toute autre vitesse de croisière… et pour cause!
Le discours sur la désinstitutionnalisation que prônent aujourd’hui à la fois le collectif informel En Marche Inclusion et les pouvoirs publics, n’est qu’une mascarade, qui sous couvert de la valorisation et de la capacité d’autonomie et d’initiative des individus, vise tout simplement à diminuer les financements publics destinés aux établissements médico-sociaux.
En d’autres termes, pour parler clairement, c’est la mort programmée des établissements médico-sociaux parce qu'ils sont jugés trop coûteux.
Le nombre d’arguments fallacieux déployés pour convaincre l’opinion publique est sans limite : la prise en charge en établissement spécialisée se révélerait être : « ségrégative, sclérosante, rigide, routinière, parfois même maltraitante » …et il est vrai que certains établissements manquent gravement à leurs obligations de sécurité et/ou de respect de l’intimité voire de la dignité de leurs résidents. A quelques rares exceptions près, ces manquements sont toujours dus à un déficit de moyens financiers et humains.
Les liens familiaux des enfants accueillis dans un établissement seraient du fait de cet accueil fragilisés ! ... argument non seulement fallacieux mais honteux vis à vis des familles qui n’ont pas d’autre choix pour survivre.
On suppute que ces mêmes enfants seraient privés de leur accès au droit au commun du fait de leur prise en charge en établissement, qu’ils seraient privés d’école alors même que nombre d’entre eux bénéficient d’une inclusion scolaire, soit au sein même de leur établissement spécialisé soit grâce à des partenariats avec des établissements scolaires à proximité, sur des temps parfois très courts mais qui suffisent à leur épanouissement.
Et quelle image médiatique retient-on aujourd’hui des établissements qui accueillent des personnes en situation de handicap ? Celle véhiculée par les reportages télévision souvent sensationnalistes, qui dénoncent des conditions de vie effroyables et indignes des résidents en situation de handicap.
Certes, ces reportages ont le mérite d’attirer l’attention du grand public et d’essayer de sensibiliser celui-ci sur les difficultés rencontrées par des gestionnaires d’établissements à garantir à la fois la sécurité, les soins, l’éducation ou la rééducation de leurs pensionnaires et les conditions de travail de leurs salariés. Ils font néanmoins toujours suite à des faits divers dramatiques, surfant sur une actualité qui choque et indigne l'opinion publique.
La manœuvre pour discréditer l’existence même des établissements spécialisés réside en quelques mots : Montrer des conditions de vies indignes, irrespectueuses, abusives, maltraitantes… sans jamais expliquer comment on peut en arriver là. Jamais, un reportage n’a parlé du manque crucial de moyens alloués aux établissements médico-sociaux pour lutter contre ces phénomènes abusifs.
Cette image, à la fois médiatique et trop souvent réelle, a fait son chemin dans les esprits. “Et oui, quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage!” Aujourd’hui, de nombreux parents d’enfants en situation de handicap rejettent l’idée de « placer » leur enfant (puisque c’est une expression qui revient souvent) dans un établissement spécialisé, tant l'image de celui-ci est écornée.
Peur de la maltraitance, certes, mais également peur de ce que représente aujourd’hui l’institution : une garderie sans projet pédagogique, qui n’aurait pas su évoluer dans le temps et/ou s’adapter à de nouvelles méthodes : pédagogie conductive (méthode Petô), ABA, Makaton …voilà ce que réclament les parents aujourd’hui…des méthodes qui existent pourtant depuis 40 ans en Hongrie, en Pologne, en Espagne ... et nombre de familles se ruinent pour accompagner leur enfants dans ces pays pour bénéficier de ces méthodes, sacrifiant leurs vacances, se résignant à deux ou trois semaines par an pour tenter de faire progresser leur enfant.
Des méthodes qui sont rarement proposées d’emblée dans les établissements médico-sociaux mais qui rencontrent un grand succès lorsque des parents insistent un peu pour qu’elles y soient pratiquées. On oublie trop souvent que depuis 2001, une instance qui s’appelle le Conseil de Vie Sociale, que nous devons à la pugnacité de Roselyne Bachelot, associe les représentants de parents à la vie institutionnelle. Je ne dis pas que c’est toujours facile de faire bouger les lignes, mais j’ose affirmer que « where there’s a will, there’s a way » ( là où il y a une volonté, il y a un chemin) et que nombre de professionnels dans les établissements n’attendent que ça, de rencontrer des parents motivés et convaincus pour ensemble faire évoluer les pratiques dans l’institution, parce qu’eux aussi ils ont envie de changement, ils ont constaté et expérimenté des choses et qu’ils attendent le feu vert et les moyens nécessaires pour les mettre en pratique.
Et, plus les salariés et les gestionnaires d’un établissement seront motivés, plus ils seront à même d’exiger des moyens pour mettre en œuvre ce projet pédagogique. Parce qu’au bout du bout, s’ils sont tous encore là, en dépit de leurs conditions de travail de plus en plus difficiles, d’un salaire qui n’a pas été revalorisé depuis une décennie , c’est qu’ils aiment travailler avec nos enfants différents et qu’ils veulent les accompagner dans leurs apprentissages et leurs progrès.
Alors, oui, j’ai des exemples d’établissements et de personnels bienveillants, toujours en quête de nouveautés.
Oui, je crois fermement, en tant que maman d’une jeune fille polyhandicapée de 19 ans, que les établissements médico-sociaux doivent évoluer mais surtout, maintenant, se battre pour continuer à exister.
Qu’il est maintenant question de redéfinir les fonctionnements institutionnels pour mieux lutter contre cette vague prônant la désinstitutionnalisation et qu’il faut se donner les moyens, ensemble, de mener une guerre sans merci contre ceux qui veulent la fermeture progressive des établissements médico-sociaux tout en mettant tout en oeuvre pour que les enfants en situation de handicap qui le souhaitent, qui le peuvent, puissent profiter de l'inclusion scolaire, puis de l'inclusion professionnelle.
Autrement, nos grands polyhandicapés, nos autistes dits« lourds » …s’il n’y a plus d’établissements, on en fait quoi ?
On en fait quoi, quand on commence à vieillir, quand on a mal au dos, quand on a déjà tout sacrifié: emploi, couple, vie de famille, sorties culturelles, amis, loisirs... pour s’occuper de cet enfant si différent quand le temps passé en établissement spécialisé pour celui-ci est le seul temps qui nous est donné à nous parents, frères et sœurs, pour recharger les batteries et tenter de vivre une vie « normale » ? Quand ce temps en institution est le seul qui permette à cet enfant lourdement handicapé de vivre une vie sociale, en dehors de la famille?
Et les professionnels qui travaillent avec nos enfants depuis des années, ils deviennent quoi s’il n’y a plus d’établissement ?
Ils feront des visites à domicile sans doute, les uns après les autres, à la queue leu-leu, éducateurs, kinésithérapeutes, AMP, infirmières, sans pouvoir concerter entre eux, souffrant eux aussi de prises en charges isolés, eux qui ont tant l’habitude de travailler en équipe pluridisciplinaire dans l’intérêt des enfants mais aussi, dans le leur, pour progresser, partager leur ressenti, confronter parfois leur vision.
Alors, qu’est ce qu’on attend pour se faire entendre, tous ensemble ?
Qu’est-ce qu’on attend pour lutter contre les préjugés et montrer qu’il existe des établissements bienveillants ?
Qu’est-ce qu’on attend pour exiger les moyens nécessaires pour arrêter d’envoyer nos enfants polyhandicapés et/ou autistes en Belgique, faute de places en France ?
Qu’est-ce qu’on attend pour dénoncer le dogmatisme d' En Marche Inclusion?
Qu’est-ce qu’on attend pour répondre à Catalina Devandas Aguilar, rapporteuse pour l’ONU qui condamne la France et déclare avant même la remise de son rapport final, “vouloir faire fermer tous les établissements médico-sociaux de France” ?
Et qui osera leur dire, à Catalina Devandas Aguilar comme à François Marien, fondateur d’En Marche Inclusion, tous deux eux-mêmes en situation de handicap ( que nous parents d’enfants polyhandicapés on aurait tendance à qualifier de handicap léger, en faisant fi du politiquement correct) , qu’ils n’ont qu’une vision partielle et subjective du monde du handicap ?
Ils sont tous deux, légitimés ou non par des instances officielles, des exemples de personnes accomplies, épanouies, défendant leurs convictions, et c’est déjà , reconnaissons le, une belle leçon de vie et un exemple pour de nombreuses personnes en situation de handicap.
Mais leur hargne, leur haine vis-à-vis des établissements médico-sociaux, leur militantisme motivé par leur situations personnelles,individuelles, les empêchent de voir que d’autres, moins chanceux, plus handicapés, plus dépendants, ont besoin de ces établissements médico-sociaux pour grandir, s’épanouir et vivre en dehors du cercle familial.
Peut-être n’imaginent-ils même pas à quel point l’existence même de ces établissements permet à des familles de survivre, de vivre à temps partiel un semblant de normalité, pour certains d’entre nous de travailler à temps partiel, pour d’autres de construire une vie familiale équilibrée, pour d’autres encore de survivre, de ne pas craquer et commettre l’irréparable... certains “faits divers” devraient alerter plus à ce sujet... Peut-être qu’ils ne se rendent pas compte qu’avec la désinstitutionnalisation, ils priveraient des milliers d’enfants et de jeunes en situation de handicap lourd et/ou de polyhandicap du seul lieu de vie où ils peuvent avoir une vraie vie sociale.
Ou peut-être qu’ils sont très conscients de tout cela, et que leur démarche n’est que discrimination et rejet vis à vis des plus faibles, des plus fragiles, des moins autonomes, des plus précaires, de ceux qui ne peuvent s’exprimer seuls, des familles déjà tellement sollicitées et à bout qu’elles n’ont plus l’énergie pour lutter et/ou pour se défendre ? ... tout ça peut être.. pour se sentir eux-mêmes moins démunis et/ ou prendre une revanche sur la vie qui n’aurait pas toujours été tendre avec eux.... Dans tous les cas, ils font le jeu d'un système qui n'a pour seul objectif que de faire des (fausses) économies.

Amarantha Bourgeois Membre du Collectif D’Une Maison à l’Autre.